Cher Hydro-Québec: le Quartier latin mérite mieux

2025-04-08 - Louis-Philippe Véronneau

Voici un texte que j'ai écris pour le numéro d'avril 2025 de mon journal syndical. J'écris rarement en Français sur mon blog (qui est principalement destiné à un auditoire international), mais cela m'arrive quand même parfois!


Vue de haut de l'emprise du nouveau poste de transformation électrique, coin Berri et Ontario

Mai 2024. Le Devoir annonce qu'Hydro-Québec s'est entendue avec Bibliothèques et Archives nationales du Québec pour l'achat du terrain coin Berri et Ontario pour la construction d'un nouveau poste de transformation électrique. Berri-2, un poste de 315 000 volts, remplacera le jardin de lecture et le terrain gazonné face à l'Îlot Voyageur1. Exit, la statue de Danny Laferrière.

On nous apprend ainsi qu'un bâtiment plus grand que la Grande Bibliothèque — sans fenêtres — s'érigera sur ce terrain d'ici 2033, entrainant la perte d'un des derniers espaces verts du Quartier latin. BAnQ, mise à genoux par plus d'une décennie de désinvestissement et de négligence de la part de Québec, n'a pas d'autre choix que d'accepter. La CAQ lui a en effet confié le mandat de revitaliser l'ancienne bibliothèque Saint-Sulpice, sur Saint-Denis, sans toutefois lui accorder les budgets nécessaires pour le faire.

La vente de ce terrain pour 22 millions de dollars, c'est pour BAnQ l'équivalent parapublic d'aller au Pawn Shop vendre sa guitare pour payer son loyer. Tout le monde constate l'humiliation imposée à l'institution, même si sa directrice, Marie Grégoire, ancienne bonze de l'Action démocratique du Québec, s'en cache bien. Après tout, défendre « une institution d'avant-garde et de référence vouée à l'enrichissement du savoir et de la culture »2, c'est probablement le travail d'un·e autre.

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Comme beaucoup d'autres québécois·e·s, j'entretiens avec Hydro-Québec une relation ambigüe.

Symbole inspirant d'une période de prise en main collective face aux diktats du privé — « Maintenant ou jamais! Maîtres chez nous » — Hydro-Québec représente également pour moi notre arrogance collective vis à vis des question autochtones.

En définitive, nous n'avons pas su bâtir cette « relation de nation à nations » tant de fois promise, jamais réalisée. Cette arrogance, que l'on voit encore chez Hydro-Québec dans ses projets d'infrastructure, elle provient de notre refus d'admettre que, nous aussi, nous étions et sommes encore actrices et acteurs de ce colonialisme destructeur qui ravage les Premières Nations, les Métis et les Inuit au Québec et au Canada…

Je m'égare ici peut-être un peu du sujet principal de cet article, mais c'est à mon avis un détour nécessaire. L'attitude de notre chère société d'État dans ce dossier n'est pas nouvelle et doit être replacée dans un contexte plus large.

Quand nous lui demandons plus de transparence et qu'elle nous ignore, quand nous tentons de lui faire comprendre que ses décisions mettent en péril nos milieux de vie et d'étude et qu'elle nous répond “qu'elle n'a pas le choix”, elle emploie somme toute les mêmes tactiques que celles utilisées pour déposséder les nations autochtones au Québec de leurs terres, de leurs lacs et de leurs rivières. Les mêmes tactiques, moins la police et la violence physique.

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Estimation de la volumétrie du futur poste de transformation électrique

Avec raison, le Quartier latin s'enflamme et se mobilise. Lise Bissonnette, Christine St-Pierre, Phyllis Lambert, Michel Tremblay, Kev Lambert, Nicole Brossard, l'Association citoyenne du Village de Montréal, le SPUQ-UQÀM, Marie D. Martel, Carol Couture et bien d'autres dénoncent tour à tour le projet. Dans les mots de Denys Arcand: « dément. […] C'est du délire ! C'est complètement fou. »3.

Toujours au front, Manon Massé pose la question qui tue: ne pourrait-on pas utiliser … d'autres terrains? Le Quartier latin n'est en effet pas étranger aux lieux laissés à l'abandon pour profiter des effets de la spéculation immobilière rampante4. Réponse: « Hydro-Québec exclut d'emblée d'exproprier »5. Protéger (le capital) et servir (les intérêts des riches propriétaires des terrains du centre-ville), notre chère société d'État joue bien ici son rôle de police de l'énergie.

Hydro-Québec sort donc encore la même cassette: les communs et l'environnement n'ont pas de valeur et elle n'hésitera pas à les détruire si cela lui permet d'atteindre ses objectifs de rentabilité. “Énergie verte”, une hypocrisie telle qu'on croyait entendre la Caisse de dépôt et placement du Québec affirmant appliquer les plus hauts standards éthiques tout en continuant à investir dans des entreprises responsables du génocide en Palestine.

Au-delà de la question du terrain, avons-nous vraiment besoin d'un nouveau poste de transformation électrique plus gros et plus puissant? Si Hydro-Québec affirme que c'est nécessaire « pour répondre à la croissance de la demande en électricité du centre-ville », permettons-nous d'en douter. Il suffit en effet de jeter un coup d'œil le soir à tous ces bâtiments complètement illuminés pour voir à quel point le gaspillage d'énergie est un véritable leitmotiv québécois.

Dans les faits, cette “nécessité” est plutôt le résultat d'une course folle vers l'avant au nom de la “transition écologique”, alors que la solution réelle à nos problèmes environnementaux est le refus collectif. De la consommation. De la croissance. Du capitalisme. De la mort collective.

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Nous apprenions récemment que le Cégep du Vieux Montréal et l'UQÀM collaboreront pour mettre de l'avant des « actions concertées entourant la relance du Quartier latin »6. Pourquoi ne pas en profiter pour défendre nos communs?

Il est clair que le conseil d'administration du CVM doit dénoncer le projet de construction d'un poste de transformation au coin Berri et Ontario et doit prendre position en faveur d'une rétrocession de ce terrain à BAnQ. La communauté du Quartier latin organise d'ailleurs une manifestation le samedi 26 avril pour dénoncer le manque d'écoute dans ce dossier.

Et au-delà de cet enjeu — après tout hyperlocal — continuons de dénoncer l'attitude d'Hydro-Québec, particulièrement envers les communautés autochtones. Vérité, réconciliation, transfert de 25% des parts de la société d'État aux nations autochtones au Québec?


  1. Jean-François NADEAU et Étienne PARÉ, « Un poste d'Hydro-Québec en plein Quartier latin à quel prix? », Le Devoir (14 mai 2024), https://www.ledevoir.com/societe/transports-urbanisme/812870/projet-hydro-quebec-coeur-quartier-latin-tenu-secret 

  2. BAnQ, « Déclaration de services aux citoyens (P-5) », 21 juin 2023, https://www.banq.qc.ca/declaration-de-services-aux-citoyens-p-5/ 

  3. Jean-François NADEAU, « De grands noms de la culture dénoncent le projet d’Hydro-Québec au Quartier latin », Le Devoir (17 février 2025), https://www.ledevoir.com/societe/transports-urbanisme/845293/figures-culture-denoncent-projet-hydro-quebec-quartier-latin 

  4. Exemple parmi tant d’autres: cet entrepôt de 140 mètres de long situé sur Saint-Hubert derrière l'Îlot Voyageur, véritable verrue urbaine qui pourrie tranquillement depuis 2003 en attendant que son propriétaire, l’Aquilini Investment Group, décide finalement d’en faire du logement. 

  5. Jean-François NADEAU, « De l'électricité dans l'air autour du projet d’Hydro-Québec pour le Quartier latin », Le Devoir (23 octobre 2024), https://www.ledevoir.com/societe/transports-urbanisme/822244/electricite-air-autour-projet-hydro-quebec-quartier-latin 

  6. Cégep du Vieux Montréal, « Le cégep du Vieux Montréal et l'UQAM signent une entente pour consolider leur partenariat privilégié et explorer de nouvelles pistes de collaboration », 12 février 2025, https://www.cvm.qc.ca/wp-content/uploads/COMMUNIQUE_cvm-uqam.pdf 


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